• Le Lumière du Lot-et-Garonne

    Il est difficile de s’attaquer à son histoire tant il a d’importance aux yeux des habitants. François Labat de Vivens est en effet un personnage historique qui a marqué durablement Clairac de son empreinte. Cet article a pour projet de brosser un portrait non exhaustif de ce personnage emblématique de Clairac. Attention, l’article est long et riche mais sachez qu’il y a pire puisque l’œuvre de Vivens se compte en vingtaine de livres, centaine de lettres, dizaine d’essais et beaucoup de témoignages. C’est un personnage complexe qui a touché à tout et je ne fais ici qu’effleurer superficiellement l’œuvre colossale de la vie de cet homme.

    Corrections par Sandrine Boissié

    Le Lumière du Lot-et-Garonne

    Si les livres d’Histoire que nos enfants portent dans leurs cartables ne mentionnent pas le nom de Vivens, il n’en demeure pas moins l’un des penseurs de son temps, un des « Lumières » à part entière. Il est certes plus modeste mais reste un homme de science remettant en question bien des pratiques de son époque et expérimentant toutes sortes de choses. S’il est souvent comparé à Montesquieu qui est un de ses amis, Vivens est tout de même différent à bien des égards.

     

    L’enfance et l’adolescence forgé par les langues et les études

     

    François Labat de Vivens, dit le « chevalier de Vivens » nait à Clairac le 11 juillet 1697. Il est le fils d’André de Vivens et de Judith de Beaupui. Il a deux frères : Jean, né en 1686 et André Salomon né en 1694. Peu après la naissance de François, sa mère décède et c’est Jean Labat de Vivens qui prend en main l’éducation de son petit frère. Il partit d’abord étudier à Bordeaux au collège de Guyenne situé à l’angle de la rue Sainte Catherine et de la rue de Guienne. Le Lumière du Lot-et-GaronneIl est décrit comme un ensemble de bâtiments étroits donnant sur une cour intérieure. Sur le cadastre napoléonien : 50 G 1/12 - Section A. Sainte-Colombe. Planche n° 31 que vous pouvez voir ci-contre, l’emplacement supposé du collège y est figuré en bleu. Le collège de Guyenne avait très bonne réputation à l’époque. L’enseignement des langues y est pratiqué mais également la philosophie, la grammaire, la logique, la médecine, la physique et les mathématiques. Montaigne étudiera, lui aussi, dans cet établissement. C’est donc dans ce temple du savoir que le jeune François va forger ses premières armes. Selon les traces trouvées dans le livre Le chevalier de Vivens, Un philosophe des Lumières en Guyenne il aurait rapidement appris les langues grecque, latine et hébraïque.

    Vers l’âge de 18 ans, en juin 1715, il effectue son premier voyage en Hollande où il développera un intérêt pour la peinture hollandaise. Puis, en août de la même année, il est appelé à voyager en Angleterre pour récupérer un héritage. Il y restera le temps d’apprendre l’anglais. Par la suite, il va redescendre sur Paris où il restera 5 ans et complétera ses études avec la science, les mathématiques et la politique.

     

    L’homme de sciences

     

    Fort de toutes ses connaissances acquises pendant sa jeunesse, il va développer et appliquer ce qu’il a appris sur ses propres terres en Lot-et-Garonne à Clairac. Non pas qu’il ait eu une envie pressante de revenir sur nos terres, mais ses envies de voyage et de découvertes furent freinées par ses finances et aussi, son frère qui refusa de lui céder la pension qu’il lui demandait. Réprimé dans son désir d’en découvrir toujours plus, il reprit le chemin de Clairac. Il étudiera ainsi dans son domaine avec assiduité le climat, les sols, les cultures, les crues, etc. Il publiera un ouvrage faisant état de la météo de 1739 à 1778, intitulé Journal météorologique où il étudie scrupuleusement la météo observée jour après jour, et dans lequel il note ses observations et commentaires.

    A l’âge de 45 ans, l’Académie des sciences, belles-lettres et des arts de Bordeaux l’accueille en son sein. Soucieux de montrer sa valeur, il présentera alors des travaux traitant de fléaux ayant touché la région en son temps : un tremblement de terre, une gelée de printemps exceptionnelle et une maladie épidémique d’un genre nouveau ayant touché la zone de Clairac. N’ayant pas donné de nom à son œuvre, le secrétaire de l’académie s’en chargera pour lui : Observations faites en 1743 par M. de Vivens. Entre 1743 et 1770, il publiera 4 communiqués pour l’académie : Observations météorologiques en 1743, une œuvre qu’il continuera bien après, comme évoqué plus haut ; Idées générales d’un nouveau système sur la gravitation universelle ouvrage dans lequel il complète, en quelque sorte, un essai sur les principes de la physique sur lequel il a travaillé en 1743 ; Variations singulières et observations sur une aiguille aimantée, un ouvrage où il conduira de remarquables travaux en pratiquant des expériences sur une aiguille aimantée, ainsi que sur l’influence électrique et météorologique qui peut y être exercée. Ses observations sur cette dernière expérience seront compilées et présentées à l’académie le 24 juin 1770. Elles seront, par la suite, reprises et commentées par P. COTTE (prêtre de l'Oratoire, chanoine de l'église cathédrale de Laon, correspondant de l'académie royale des sciences de Paris, membre de la société royale de médecine de Paris, de l'Académie royale des belles lettres, sciences et arts de Bordeaux ; de la société électorale météorologique palatine établie à Manheim , secrétaire perpétuel de la société royale d'agriculture de Laon – oui, moi aussi je trouve cela long) dans un mémoire, sur les effets électriques et météorologiques sur une aiguille aimantée, qui compile toutes les observations de François Labat de Vivens, mais également celles d’autres physiciens ou hommes de sciences de son temps. Un dernier ouvrage lui est attribué : Observations sur le vol des oiseaux. Une œuvre publiée sous le nom de Vivens, mais qui n’est pas datée.

    Pour finir, la médecine est également un sujet qui passionne cet homme de lettres. Dans son ouvrage Recherches sur les causes des maladies par un gentilhomme des Lumières. Fermentation de l’air, astrologie et sensations internes, Jean-François Viaud explique qu’en 1747, François de Labat de Vivens achète à la bibliothèque de l’Académie de Bordeaux les trois premiers volumes du Dictionnaire universel de médecine de Robert James, ainsi que la souscription pour les trois volumes suivants. En acquérant ce dictionnaire, Vivens se trouve « pourvu d’un des plus ambitieux ouvrages médicaux de son temps, dont les auteurs sont des médecins anglais réputés, et dont la traduction française fut assurée, entre autres, par Diderot ».  L’ouvrage commente plus précisément les travaux de Vivens sur les maladies dont il avait décrit non seulement les symptômes, mais aussi les observations qu’il avait faites sur elles, pour lui permettre de mieux les diagnostiquer. L’auteur décortique, analyse les méthodes employées par François pour traiter des maux ; il montre qu’il a mené une étude rigoureuse des maladies, de leurs effets et de leurs potentielles causes, avec les moyens et connaissances rudimentaires de son époque.

     

    L’économiste avant-gardiste

     

    Vous avez sans doute déjà entendu cette phrase « L’histoire se répète. » Elle n’est pas là uniquement pour faire joli, c’est un fait, une réalité. Nous répétons sans cesse les mêmes erreurs. Les ouvrages de Vivens en matière d’économie et de politique en sont la preuve. Nous sommes forcés de constater que le serpent se mord la queue depuis au moins 300 ans.

    Vers l’âge de 55 ans, après une vie à prendre soin de ses cultures et à expérimenter toutes sortes de choses sur ses terres, le chevalier de Vivens tire les conclusions de son expérience en publiant deux ouvrages : Observations sur divers moyens d’encourager et soutenir l’agriculture, principalement dans la Guyenne publié en 1756 et le second sous forme de lettres en 1761. Le premier ouvrage est très technique et explique comment encourager l’économie en Guyenne par le développement de l’agriculture et la stimulation du marché local par opposition au marché des produits issus des colonies. Il y décrit l’agriculture comme clé de voute de l’économie locale et explique qu’elle devrait occuper une place centrale dans les préoccupations de l’Etat. Par ailleurs, il estime que le pays est trop dépendant de ses importations et délaisse trop d’industries et de manufactures sur ses propres terres au profit des colonies, perdant ainsi sa capacité d’autosuffisance et s’exposant à d’éventuelles pénuries en cas de prises des colonies par d’autres pays. Il déplore l’abandon des campagnes au profit des villes qui attirent la jeunesse créant un exode rural qui la dépeuple. Il critique la noblesse et la bourgeoisie de ville en lui reprochant de ne connaître de la campagne que la douceur de leurs belles demeures et lieux de villégiature. Il va même jusqu’à remettre en question les privilèges des monopoles marchands et leur actions néfastes pour l’économie. Son ardeur le conduira plus tard à monter un projet ambitieux de création de Chambres d’agriculture et de Conseils économiques et politiques en province. Le projet sera étouffé par quelques membres de l’Académie de Bordeaux et du parlement.

     

    Le mondain campagnard

     

    Même si nous connaissons peu de détails sur la vie intime du chevalier de Vivens, nous avons des écrits et des témoignages de gens d’époque à son sujet. François est décrit par plusieurs auteurs comme un homme modeste n’ayant aucune ambition de gloire, préférant se consacrer le plus possible aux sciences qu’il étudie avec tant d’ardeur. Mais il faut bien l’avouer, Clairac est bien loin du Grand monde ou du Tout Paris. Pourtant, cela ne l’empêche pas d’avoir autour de lui un cercle de gens éclairés et de philosophes divers. Il préside en effet un cénacle dans son château de Vivens appelé sobrement le Cénacle de Clairac. Dans le livre Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1, le Cénacle de Clairac y est décrit comme « un cénacle de ce genre qui existait, au milieu du XVIIIe siècle, dans la province de Guyenne. Le fondateur, l’arbitre de cette petite société bordelaise, était le chevalier de Vivens ». Plus haut, la description explique ceci « Dans les classes élevées de la société du dernier siècle, on trouvait quelques hommes d’élite qui, préparés par une éducation supérieure, distingués par l’élévation de l’esprit et du caractère, se sentaient instinctivement attirés vers tout ce que l’intelligence humaine peut produire dans les régions diverses où elle s’exerce. Beaux-arts, littérature, sciences, rien n’était étranger aux membres de cette société élégante et polie. On voyait, dans ces cercles distingués, le spectacle intéressant de l’aristocratie de la naissance accueillant et recherchant l’aristocratie du mérite. Les savants étaient toujours sûrs d’y rencontrer des protecteurs généreux, quelquefois même des émules. » Le Cénacle de Clairac, malgré son éloignement géographique, compte parmi ses membres un certain nombre de penseurs connus et reconnus qui permettent de le définir comme un vrai cercle de philosophes et de savants. Parmi eux, nous pouvons citer : Jacques de Romas, Montesquieu et son fils, Lamire de Doazac, Brescon, Raulin, les frères Dutilh et le chanoine Venuti qui comme son nom l’indique est venu de Rome à Clairac d’abord pour faire augmenter les rentes de l’abbaye et convertir les protestants mais qui finira par sympathiser avec eux. Le chevalier reçoit ses convives chez lui dans son Château de Vivens. Ce cénacle atteint cependant rapidement ses limites pour Vivens qui en veut toujours plus. Les rares voyages à Bordeaux qu’il effectuera après son retour de Paris ne lui suffiront pas non plus. Mais contraint par ses obligations, il tentera de combler ce vide par les livres et l’entretien d’une bibliothèque fournie pour étancher sa soif de connaissances. Ami et voisin de Montesquieu, il va mener quelques expériences et essais, échanger ses théories et ses remarques avec le girondin lorsqu’il descend à Clairac au Petit Vivens. La correspondance entre ces deux hommes qui s’apprécient grandement va s’espacer au fil de temps. Mais leur amitié restera et demeurera intacte.

    Le Lumière du Lot-et-Garonne

     

    Gravure du Cénacle de Clairac.

    Vivens est au centre de la gravure. Assis sur un banc à gauche, Montesquieu et son fils. Derrière lui à gauche, Dortous de Mairan. Assis sur le banc de droite, les frères Dutilh.

     

    Pour conclure

     

    Il y aurait bien des choses à ajouter à ce portrait. Les travaux menés par Vivens sont bien plus vastes et larges que ceux cités ici. Cet homme qui vit loin de la haute société mondaine a tout de même su s’entourer et déployer de véritables aptitudes en matière de sciences et de philosophie. Bien loin de vouloir briller et obtenir la gloire, il préférera rester discret et sa notoriété ne dépassera guère les frontières de la Guyenne. Pourtant, par sa façon de vivre et de gérer ses terres, son patrimoine et ses travaux, il prouve qu’il mérite amplement le titre de Lumière du Lot-et-Garonne. Un autre Vivens lui succèdera à l’Académie de Bordeaux. Mentionné comme M. Le vicomte de Vivens (Propriétaire à Clairac) et qui lui aussi, fort de ses expériences conduira plusieurs travaux qu’il présentera à l’Académie.

     

    Bibliographie :

    Le Chevalier de Vivens Un philosophe en Guyenne – Jean Haechelier

    50 G 1/12 - Section A. Sainte-Colombe. Planche n° 31- Cadastre Napoléonien de Bordeaux – Archives de Bordeaux

    Notice biographique sur M. De Vivens – M. De Saint Amans

    MÉMOIRES SUR LA MÉTÉOROLOGIE, Pour servir de Suite & de Supplément

    AU TRAITÉ DE MÉTÉOROLOGIE – P. Cotte

    Recueil des travaux de la société d’agriculture, sciences et arts d’Agen tome III -  M. BARTAYRÈS , secrétaire perpétuel de la Société

    Journal météorologique – François Labat de Vivens (extrais)

    Recherches sur les causes des maladies par un gentilhomme des Lumières. Fermentation de l’air, astrologie et sensations internes – Jean-François Viaud

    Les Merveilles de la science, 1867 - 1891, Tome 1

    Actes de l’Académie royale des sciences, des belles lettres et des arts de Bordeaux Volumes 1 à 3 de 1839

    Jacques de Romas, histoire et travaux – wiki sources

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